Ce n'est pas Salah Abdeslam qui a prononcé la phrase du jour ce mardi 2 novembre. C'est son « frère », son ami d'enfance de Molenbeek (commune de l'agglomération bruxelloise) et désormais son voisin de banc dans le box de la cour d'assises spéciale de Paris, Mohamed Abrini, qui, en quelques mots, a résumé la tonalité de cette première journée dédiée à l'examen de la personnalité des accusés au procès des attentats du 13-Novembre. « On n'est pas sortis du ventre de nos mères comme ça, barbus avec une Kalachnikov dans la main », a-t-il lancé, au détour d'une question sur sa délinquance et le cannabis.
On ne saurait mieux résumer la vocation d'un interrogatoire de personnalité devant une juridiction criminelle. Explorer la tendre jeunesse pour mieux comprendre l'homme devenu criminel. S'arrêter aux innocences de l'enfance qui contrastent tant avec les massacres jugés. En fait, mener un procès. Et accepter le brutal changement d'atmosphère de l'audience après les cinq semaines bouleversantes des témoignages des parties civiles.
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Abdeslam revendique les attentats au procès du 13-Novembre : « On a attaqué la France, on a visé les civils »Dans cet exercice, Salah Abdeslam, 32 ans et seul membre encore en vie des commandos du 13 novembre 2015, joue résolument le jeu, adoptant pour la première fois une attitude qu'il n'avait jamais tenue depuis son arrestation en mars 2016. Après le droit au silence obstinément opposé jusque-là aux enquêteurs et aux magistrats, après la porte systématiquement laissée fermée aux experts psychiatriques, après le refus même durant quelques mois de désigner un avocat et surtout après les provocations lancées en ce début de procès, voilà donc Salah Abdeslam campé en homme ordinaire.
Une enfance « simple, calme, gentille »Si on commence par lui la série des examens de personnalité, ce n'est d'ailleurs pas pour le mettre en avant ou souligner son rôle présumé majeur dans la genèse des attentats. C'est seulement « l'ordre alphabétique », précise le président. L'accusé, qui s'est rasé la tête mais a conservé sa barbe abondante, n'avait jusque-là même pas répondu aux questions sur sa nationalité. Cette fois, il le fait : « D'origine marocaine, né en Belgique mais de nationalité française » par ses parents, lesquels ont d'abord immigré en France avant de déménager outre-Quiévrain. « Quatrième d'une fratrie de cinq », une enfance « simple, calme, gentille », il était « bon élève ». Il est « quelqu'un qui aime travailler ». Première condamnation en février 2011 à un an avec sursis pour tentative de vol avec effraction.
« Condamné avec d'autres personnes ?, tente le président.
– Je ne souhaite pas le dire », oppose Salah Abdeslam qui refusera aussi de répondre aux questions sur sa vie sentimentale, sur les courriers reçus en prison ou sur les compagnons de ses voyages « touristiques », ceux qui n'intéressent la justice que pour l'anecdote.
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« Je vais le dire : lors cette tentative de vol, vous étiez avec Abdelhamid Abaaoud [chef des commandos, mort à Saint-Denis] », glisse le président, sans déstabiliser l'accusé.
« Même les animaux ne sont pas traités comme ça »A vrai dire, le passé de petit délinquant de Salah Abdeslam, impliqué dans des affaires aux côtés d'individus devenus des têtes d'affiche du terrorisme, était connu. L'inventaire à l'audience des menues affaires, contestées ou non, est donc sans surprise. On tend davantage l'oreille quand Abdeslam, sur un ton égal, évoque son quotidien depuis le printemps 2016 et son incarcération à Fleury-Mérogis sous très haute surveillance.
Procès des attentats du 13-Novembre : Abdeslam prend de nouveau la parole pour dédouaner trois de ses coaccusésSous la grille des premières questions du président des assises, cet ordinaire-là est d'abord composé des visites régulières au parloir de sa mère, de sa sœur et de sa tante. Des contacts téléphoniques trois fois par semaine avec ses proches, à raison d'un accès possible au téléphone une heure le matin et une heure l'après-midi. Et d'un accès, également une heure le matin et une heure l'après-midi, à une cellule qui est réservée à ses seules activités physiques avec à disposition un rameur et un vélo d'appartement.
Sous la grille des questions de son avocate Olivia Ronen, ce trop bel ordinaire est rapidement mué en unique cellule de 9 mètres carrés, dominée par deux caméras de vidéosurveillance difficiles à supporter : « D'ailleurs, à un moment, j'y ai pensé [au suicide]. Ça vous pousse à vouloir en finir, cette vie-là. Même les animaux ne sont pas traités comme ça », confie-t-il. La cour de promenade est « murée » avec « des barreaux ».
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Loin du « cendrier vide »Le président qui a visité les lieux, l'accusé qui y vit et l'avocate qui tient fermement les positions de la défense débattent sur un détail qui résume toutes les questions que peuvent poser ces conditions de détention : voit-on depuis cette cour de promenade de haute sécurité un bout de ciel ? Ou pas de ciel du tout ? Salah Abdeslam lui-même semble parfois éluder ce débat pénitentiaire. Il a « refusé les aides psychologiques qu'on [lui] a proposées parce qu'[il] n'en avait pas besoin ». Il n'a « jamais eu de traitement médicamenteux ».
Le mystère Salah Abdeslam, un terroriste muré dans le silenceLe propre d'un interrogatoire de personnalité est de passer du coq à l'âne et, au détour de deux questions, de mettre en lumière les vérités de sa vie d'avant, « baignée des valeurs occidentales ». Et celles de son existence d'aujourd'hui, détenu dans le dossier de l'attentat terroriste le plus meurtrier jamais perpétré en France. Le contraste est saisissant. Tout est extrêmement parlant.
Avant 2014, Salah Abdeslam sortait en boîte de nuit « de temps en temps », mais n'était « pas très bon danseur ». « Je vivais comme un libertin, sans se soucier de Dieu. On buvait et on mangeait ce qu'on avait envie de boire et manger », dira-t-il. Après 2016, en revanche, il n'a pas une seule fois formulé une demande de sortie de sa détention provisoire : « Je confirme [n'avoir fait aucune demande de mise en liberté] : c'est difficile à imaginer que vous allez me lâcher ! »
Lucide, posé et volubile, Salah Abdeslam semble loin du « cendrier vide » qu'on voulait faire de lui.
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« Vous jouez toujours aux échecs ?, demande Jean Reinhart, avocat des parties civiles.
– J'ai arrêté, j'ai appris que c'est interdit par l'islam. »
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