Thursday, October 14, 2021

Ce qui fait l’animal

Quand les vagues ne remuaient pas les claquettes et les vélos électriques comme le tambour de la machine à laver, elles ne s'échouaient sur rien. Tout l'été la mer n'a rien donné et le soleil a brillé sans aider personne. Les gabians mangeaient les rats, les rats mangeaient les poubelles. Dans les bars les filles gentilles pleuraient après deux verres parfois juste un parce qu'elles avaient perdu l'habitude de l'alcool. Les garçons étaient toujours pareils. Tout l'été l'eau est restée froide, et les plages dégueulasses. Pour beaucoup la mort a manqué d'égards, et on en a parlé entre les gens et sur la première page du journal. Les nuits ont manqué de tout.

Depuis que l'été est fini, c'est l'été un jour sur deux ici. Les rues débordent de soleil, de livreurs à vélos ou bien d'eau et de boue, et de voitures comme des bateaux. Et comme il y a beaucoup de mauvaises nouvelles, on est content pour tous les trucs qui poussent, pour les figues et pour le raisin. Il fait froid le matin et il fait nuit en fin d'après-midi, alors tant bien que mal, on repart travailler.

Dans une fenêtre quelque part de la ville une fille encore fatiguée se réveille. Elle a le bleu de la mer sous les yeux, les cheveux en boule. Elle ne met plus vraiment de réveil depuis qu'elle est tombée dans la mélancolie. Elle est vaccinée contre plein de choses, mais elle ne supporte plus rien. Tout l'été elle a vu le monde de sa fenêtre : les touristes avaler des énormes sandwichs remplis de tout, acheter des tonnes de bouteilles d'eau et des casquettes « MARSEILLE ». Les touristes se faire brûler le dos au soleil, la tête dans une pyramide de frites. Elle a vu plein de gens bourrés, et autour des feux rouges des bières bio de tous les pays. Elle a vu le monde changer sa fenêtre en une grosse bouche qui criait des insultes et des phrases sans queue ni tête tard dans la nuit, et les rideaux qui se baladaient devant comme deux lourdes mèches de cheveux.

Aujourd'hui tout est calme parce que les gens travaillent. Les touristes sont rentrés chez eux. Aujourd'hui tous les immeubles se ressemblent, et le soleil est bien au milieu de la fenêtre. Tout le monde est sage. La fille ferme un peu les yeux pour sentir la chaleur sur ses paupières. Elle ouvre la bouche et elle dit toute seule : Le soleil en vrai est toujours plus beau que la photo du soleil (puis, plus fort) Le soleil en vrai est toujours plus beau que le souvenir du soleil. Ce n'est pas la première fois qu'elle parle à la fenêtre, ça lui arrive de plus en plus souvent et ça lui fait plaisir. L'autre jour elle avait dit autre chose, et hier elle avait dit : Ça fait du bien de prendre un bain quand on n'en prend pas souvent (puis, plus fort) Ça fait du bien de dire des gros mots quand on n'en dit pas souvent.

Elle prépare du café et regarde les grosses gouttes noires qui tombent longtemps. De sa fenêtre tous les immeubles se ressemblent. Et dans sa tête elle travaille. Elle trinque avec toutes les photos accrochées au mur, et avec le chien qui dort sur le tapis. Son appartement est décoré de gens qui sont morts ou de gens qu'on ne voit plus parce qu'ils ne sortent plus, comme elle. Elle ne sait pas téléphoner parce que ce n'est pas son style. Elle connaît tout le monde pour de vrai, les vies, les secrets et tout parce qu'avant c'était quelqu'un et tout le monde l'aimait. Tout le monde caressait le chien et elle leur faisait du café. Ils racontaient de tout et elle s'abîmait à leur faire plaisir. Puis elle disait des phrases qu'on ne peut pas contester comme des proverbes puis elle allait se laver. Parfois elle se battait avec d'autres filles et parfois elle se faisait bien mal. Parfois elle se battait avec des garçons et une fois elle leur a tiré dessus avec un fusil. Maintenant le ciel est bleu comme rien d'autre, le soleil a dépassé la fenêtre pour aller tout en haut du ciel. La rue sort son marché.

Tout son appartement sent le café et la ville le matin. Et dans sa tête tout le monde revient la voir et elle refait le lit. Elle travaille beaucoup, elle se dispute, elle rigole dans sa tête, elle négocie. Elle nettoie la tasse à café et sort les coupes à champagne. Elle les arrange sur la table avec des fleurs en tissu et le joli cendrier comme si on préparait une fête. Le chien se réveille à cause du bruit de vaisselle et du soleil qui a déplacé ses rayons sur son ventre.

Elle ferme les yeux et dans sa tête elle voit la vie comme avant. Elle dit à voix haute ou peut être juste dans sa tête : C'est pas souvent qu'on entend quelqu'un crier ou juste dire quelque chose. Désormais.

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